Hommage de Didier Vasselle à son frère Jacky, ancien joueur du RC Lens

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Voici son message et ses mémoires que nous publions inaltérés, et qu'il souhaitait partager avec les supporters, qui ne pourront se rendre en ce jour aux obsèques de Jacky Vasselle, en raison de la situation sanitaire actuelle.

D.V. : Voici mes souvenirs, le récit d’une époque révolue, celle qu’indiquent les frères Lech dans leur vidéo disponible au Louvre-Lens, et qui eux aussi ont été recrutés par Henri Trannin, comme mon frère Jacques dit Jacky…Celle de la formation par Henri Trannin d’une formidable école de foot pour les jeunes qui deviendra un modèle pour le foot français. Mon frère l’a inaugurée, et les cadres s’y appelaient Placzek qui a pris sous son aile tous les « jeunots » : Ils avaient tous moins de 18 ans en attaque, risqué à l’époque mais le grand Arnold Sowinski leur a fait confiance ! Dans le film cité on entend Georges Lech dire que Placzek lui avait dit de « cirer ses chaussures » : Il avait fait la même recommandation à mon frangin qui me l’avait aussi racontée !!! Que la mémoire d’Arnold soit aussi saluée à l’occasion !!!

La première, c’est celle de son recrutement, à 16 ans, par un très grand monsieur du foot français, Henri Trannin, qui a donc donné son nom à l’une des tribunes du stade Bollaert, un honneur mille fois mérité tant cet homme disparu bien trop tôt a fait pour tout le foot français. Il est venu en effet en 1964 « acheter » mon frangin chez moi, à Watten (près de St-Omer). Je l’ai vu arriver en costume fort élégant (un Smalto ?) dans une grosse voiture genre DS je pense si je me souviens bien, ou une grosse limousine en tout cas, genre Vedette ou Chambord. Il est arrivé, donc et mes parents l'ont reçu dans la cuisine (on n’avait pas de salon chez moi). Sur la nappe à carreaux; il a mis un gros paquet enrobé de journaux et a demandé à mes parents de l’ouvrir.Dedans, il y a avait plein de billets ! Et là il it alors à mes parents : Voyez, c’est simple, je peux vous acheter votre fils, voici l’argent (tu parles, on était pauvre mon père bossait comme ouvrier chez Vandesmet, une usine textile - une filature- et on habitait tout au fond dans la cours de l’usine !) - Mais Trannin a dit aussi juste après : « Mais je vous propose aussi autre chose : de m’occuper de votre fils, de l’héberger et de le nourrir et de lui faire ses études tout en le formant pour le foot. » C’était très bien joué de sa part : mes parents ont refusé le paquet, comme Trannin s’y attendait vous pensez bien : il était fin psychologue le bougre ! Et il est reparti, comme ça, avec son chauffeur, sans même signer de contrat, qui se fera plus tard à Lens avec mon frangin. Ce jour-là j’ai rencontré un très très grand monsieur. Quelle impression et quelle classe ! Un ton de voix doux, un homme fort respectueux des gens. Et je savais que mon frangin était entre bonnes mains ! J’appendrai plus tard qu’Henri Trannin sera à l’origine des écoles de foot françaises, avec celle de Lens comme exemple. Combien de gamins a t-il sauvé de l’ennui ou de la détestation de l’école et du seul amour du foot ? On ne sait. Mon frère lui, n’était pas dans ce cas ; plus tard, il deviendra même professeur… de sport (à Hazebrouck). Henri Trannin est hélas mort trop tôt, en 1974. Des années après je suis retourné à Lens pour un projet publicitaire (mettre les têtes des joueurs sur des miniatures genre Solido décorées en jaune et rouge !). Quand je suis arrivé et j’ai vu le nom Trannin en grand sur la tribune Ouest… j'ai chialé ! je me suis dit : il l’a bien bien mérité, celle-là, ce fameux Henri Trannin !!

La deuxième anecdote, c’est le jour où il est arrivé à Lens, mon frangin Jacky (on ne l’a jamais appelé Jacques, son vrai prénom !) avec les nouvelles recrues : il avait à peine 16 ans. C’est le Trannin qui a donné son nom à la tribune, je ne vous apprend rien, qui les reçoit. Il est alors encore habillé en costard genre Smalto très élégant. Il leurs fait un petit discours puis s’en va, en disant je reviens dans quelques instants, allez là-bas... Là-bas c’est la salle des pendus, où s’habillent les mineurs. Il le fait mette à nu et s’habiller devant les mineurs, devant tous les autres ouvriers de la mine qui prenaient leur quart de boulot. Et Trannin revient ensuite habillé en mineur, en galibot avec casque et lampe. Ils descendent au fond de la plus grande fosse, la 7 de Liévin, je crois. Il faisait au fond une chaleur torride. Là ils voient des mineurs au marteau piqueur au fond d’une veine qui ne fait pas 1 mètre de haut. Ils ont descendu à une vitesse vertigineuse, Trannin a demandé de descendre plus vite en effet au gars du chevalet. Ils remontent pareil, ils ont tous le ventre retourné. Et là Trannin leur dit alors : "Vous allez jouer pour ces hommes là… !!!" Et mon frangin m’a confié: le jour où tu mets les pieds sur le gazon à Lens, tu ne vois plus dans les tribunes que des casques de mineurs qui en suent. Et là tu donnes tout ce que t’as dans tes tripes !!!

Le goût du foot venait de notre père Georges, qui nous avait bien sur initié, et on allait tous les mercredi s’entraîner, avec… des curés, dont un, géant, de plus de 2 mètres; venu des Flandres, qui chaussait du 50 au moins sinon plus et jouait au foot en et faisait du vélo en soutane. Son cross-fit à lui, c’était son vélo : quand quelqu’un frimait, il lui disait "vas-y, prend mon vélo et pédale…" et là personne ne savait le faire tellement son moyeu était serré !! Aujourd’hui que l’on parle beaucoup des tares de la prêtrise, je tiens ici à saluer la mémoire d’un homme immensément bon, qui passait des heures avec nous, un vrai animateur social dans un patelin de 2000 âmes où le mot social n’existait même pas encore : c’était du patronage, à l’époque ! On jouait l’hiver par -5 ou -10 parfois, avec un terrain dont la moitié était de la boue séchée, si bien que les passes devenaient du flipper sur le sol gelé, cassait des flaques de glace… et nous tordait les chevilles. Un jour, je suis rentré au vestiaire incapable de délacer mes chaussures ; tout avait gelé. Alors on m’a coupé les lacets aux ciseaux. Le terrain était à côté d’un canal, si bien que pendant les matchs il y avait toujours une barque à côté pour aller chercher les ballons et celui qui les fichait à l’eau était à l’amende, bien sûr. Ça arrivait aussi quand on tirait trop fort dans le but… vu qu’il n’y avait pas toujours de filets !

Il y avait un autre canal plus grand derrière l’autre but (côté EST) mais là c’était l’Aa, fleuve préféré des cruciverbistes. Pour arriver à le foutre là-dedans, il fallait une belle « patate », et avoir de la chance, car fallait que ça rebondisse sur la route menant au pont de fer typique, avec de gros rivets et des poutrelles genre tour Eiffel, vers le centre ville. Il y avait peu de voitures, mais ça n’a pas empêché un dimanche après midi d’entendre un sur un gros « bang » de carrosserie, le jour ou une superbe chandelle de l’arrière de l’équipe première avait réussi à taper sur le capot de la bagnole qui passait à ce moment là ! Hilarité générale sur le stade, et tournée obligatoire à payer pour l’arrière… chanceux (ou malchanceux ?). C’est dans ses conditions invraisemblables aujourd’hui que mon frangin s’est fait remarquer : il ne tirait jamais top fort, plaçait pile toujours sa balle, la caressant plutôt que la bottant, économisait ses chevilles, en jonglant ou en dribblant, comme un vrai patineur de hockey, l’hiver, sur un terrain tout blanc. Jamais un geste de trop, toujours en douceur, très « technique » déjà. L’élégance même. On l’appelait alors le « grand » car tout le monde, dans un village, à un surnom. Surtout à Watten, j’avoue ! Il s’appelait Jacques mais personne ne l’a jamais appelé comme ça (et moi non plus !) c’était « Jacky ». "Jacky-le-grand", donc !

Un cousin, joueur de foot, qui marchait avec de grands pas larges avait été appelé « tape à flaques » (Tapaflak ?). Un autre, qui posait les pieds comme une danseuse, un pied en travers, s’appelait « midi moins l’quart » : si vous regardez votre montre, vous verrez mieux la position de ses pieds !!! « « Autre période aussi que celle-là qui fait sourire aujourd’hui. Le club de foot avait pour siège un bistrot, bien entendu et les vestiaires un pavillon en bois genre maison de plain pied d’agrément qui servait aussi de centre sanitaire (on allait là s'y faire vacciner, c’était un « dispensaire"). Au bistrot, on s’y habillait l’hiver car c’était au moins… chauffé, pas comme le pavillon "de la caille" (son surnom, lui aussi en avait un). Et à la mi-temps, quand on était gelé, on nous offrait du… vin chaud, avec un sucre ou deux: bref on nous DOPAIT! A 7 ou 8 ans! Là encore, ça prête à sourire… comme prête à sourire ma propre carrière footballistique au regard de celle de mon frère : j’ai perdu en minimes 19 à 0 contre Gravelines… en match à l’extérieur ! Un vrai cauchemar : notre gardien devait faire 1,40 à tout cassé, (debout !), et on s’est pris deux buts avec un dégagement d’arrière qui est rentré direct car ce jourlà il y avait aussi vent à décorner les bœufs ! Le pire ça a été la descente du car au retour quand on nous a demandé « combien », vu que le portable n’existait pas !

Mon frangin avait souri mais m’avait réconforté quand même (mais il avait eu du mal à ne pas rigoler : la famille est restée très, très moqueuse et lui aussi!). Ne racontez jamais ça à vos propres enfants : depuis, dès qu'on parle football, ils me le ressortent ! Plus de 50 ans après, c’est un vrai calvaire ! Un peu comme quand on rappelle à Casimir (le footballeur polonais- Juraszek- copain hilarant de mon père, pas le dinosaure à enfants- sa reprise ratée en finale perdue de la coupe de France !!!). Comme conditions de le l’époque, il y eu aussi un match avec notre génial curé à Cassel.. oui, le Mont Cassel. Et le terrain était sur le côté du mont, bien entendu et pas en haut ni en bas.. Et on ne s’était pas embêté à l’aplanir : résultat, il penchait fort, sur le côté et non sur la longueur. J’étais ce jour-là ailier droit: en première mi-temps, plein de balles, en seconde, pas une seule. Oui, ça suit aussi la gravité, le foot ! Chez nous donc on parlait foot et on jouait foot. La collections d’affichettes Panini était le sport local. J’en ai piqué plein à mon frangin c’est sûr, mais là encore je ne l’ai jamais entendu faire la remarque alors qu’il l’avait bien vu. C’était un garçon doux, malgré sa voix qui portait sur les terrains (toujours en patois de Watten !): il n’a jamais pris de carton rouge et ne suis pas sûr qu’il en ait eu des jaunes, tiens. Il avait sous des aspects bougons, un énorme respect de l’adversaire. Chez nous on parlait foot. Mais on ne le voyait pas à la télé (on n'en avait pas encore) et on allait la regarder chez un voisin qui lors des grands événements invitait une vingtaine de voisins pour regarder. Surtout en 1958 où mon frangin avait juste 10 ans, et moi… 7. Et là ça a été quelque chose : j’y ai gagné un surnom et mon frangin c’est sûr, l’envie de faire carrière sur le terrain !

Mon père, mécano et soudeur, avait en 1960 (j’avais 9 ans !) installé les premiers poteaux ronds en acier sur le terrain de foot de Watten où on est nés. Il y sont toujours (on les voit toujours sur Google Earth !). Il l’avait fait car avant ils étaient en bois… et carrés. Il venait de voir un film à la télé sur le dénommé Vava, copain de Pelé (avec Didi !) qui avait une telle frite en tirant qu’il les pétait, les barres carrées en bois !!! Depuis, tout le monde est passé aux poteaux en fer et ronds. On a toujours eu un côté innovant dans la famille !!!. Mon frangin, lui, sur le stade c’étaient les transversales. Depuis, tous les clubs jouent comme ça. Quand il les faisaient on le traitait de fou… bref, il y a un eu un avant Zidane, et je l’ai vu de près ! Pour ce qui est de Pelé, j’ai donc vu le match de 1958 de Coupe du Monde sur une télé grande comme un vaisselier comme ça se faisait à l’époque et j’avais regardé un ZOOM de la caméra sur les GODASSES de Gilmar, le gardien brésilien. Elle étaient bizarres et dans ma tête de gamin de 7 ans ça m’avait paru ETRANGE. Trente ans après j’apprendrai dans un numéro de France Foot que GILMAR n’avait jamais changé des chaussures, il les RAPIEÇAIT constamment, car il était SUPERSTITIEUX !! Gilmar, on l’avait surnommé "l’araignée ! » Mon frangin pareil, prenait un soin méticuleux de ses chaussures. Son secret pour les rendre souples et étanches : de la graisse de phoque, trouvée dans une boite plate genre boite à cirage .Chez nous, on savoir quand se préparait un match important : à l’odeur de la graisse de phoque dans notre buanderie où « Jacky » préparait religieusement ce qu’il appelait « ses crampons » et non ses chaussures de foot !! Bon d’accord le troisième brésilien c’était Didi : me voilà avec un nouveau surnom (je m’appelle Didier) mais là ça ne me plaît pas du tout, car en fait j’ai toujours joué comme un pied, et c’était faire honte à ce sensationnel joueur que de m’affubler de ce nom ! En discutant avec le journaliste de la VDN qui a rédigé la belle nécrologie de mon frangin il m’a parlé d’un truc avec Garrincha (ah quel joueur aussi celui-là !) mais comme c’est un scoop énorme à lui, je ne vais pas lui piquer. Vous le découvrirez bientôt dans la presse, sachez que c’est incroyable en tout cas comme re-découverte !

L’autre anecdote c’est à Lens, à Bollaert que ça s’est passé. Pour le premier match de mon frangin en équipe première, je suis là bien sûr avec mon père en tribune, invité par le staff de Lens qui, grâce aux idées d’organisation en tout de Trannin est déjà d’un professionnalisme incroyable. Dehors, il y a déjà des vendeurs de maillots ou de posters, à l’intérieur, par terre (il n’y pas encore de sièges en tribune) on a déposé ici et là des petits documents pliés, le programme du jour, imprimé sur une A4 avec plein de pubs, comme le livreur de charbon, la bière des coins ou le marbrier funéraire ("ça c’est pour les visiteurs", nous disent nos voisins de stade : à Lens on aime chambrer avec tout c’est sûr !!). Au milieu de la page pliée, c’est bien fait, il y a la composition de l’équipe, genre comme on fait à la télé avec des joueurs raides comme des personnages de Baby-Foot. Ce jour-là c’est Angers je crois, ou St-Etienne, je ne suis plus sûr, les vrais fans vont me retrouver le numéro de la Voix des Sports avec une superbe photo de mon frangin qui fait au moins 1/8me de page. Et devant nous, je ne sais trop bien pourquoi, il y a…des parisiens. Qui, bien sur ne connaissent pas un mot de patois, ce que le public qui les entoure à vite compris…en en rajoutant pour invectiver les joueurs : à Lens on est aussi fort moqueur !!

Dans l’équipe joue alors Bernard Placzek, dont la tête est particulière, disons : ancien mineur, il a reçu sur l'occiput un gros morceau ce charbon (une gaillette, qui a donné son nom au centre de formation du RC Lens !) et ça lui fait un faciès tourmenté, disons. Dans la vie c’est quelqu’un de charmant, mais sur le terrain, c’est un arrière rugueux, un mineur ça ne lâche jamais rien, on le sait et mon frère l’a bien vu au fond la mine. Sa spécialité, rare à l’époque, est le tacle glissé. Pour lui donner envie d’en faire un, ce qu’adore le public bien sûr avec des « ah, ben vla sur s’gamelle », "à li," « yavo ka pas avoir commenché, chti'là »…. évidemment nos parisiens entendant ça se grattent la tête. Puis arrive un autre « conseil » des tribunes : "cassezy s’patte » ce qui ne veut pas dire qu’il va lui casser le tibia, Placzek fait ça proprement (pas comme un dénommé Raymond Domenech, vraie terreur des stades), et là les parisiens, regardent la liste des joueurs et demandent à mon père il joue à quel poste « Kaszispat" ? Étant donné que la moitié de l’effectif du RCL était alors fait de joueurs d’origine polonaise, ça se comprend, mais nous ça nous tord de rire bien sûr et toute la tribune aussi… Et nos voisins lensois chambreurs de commencer à donner un cours accéléré de patois façon Bienvenue chez les ch’tis, allant même, d’un "ah ben tiens, eul’vla, eul t'chio’ Vasselle, on va vouere c’qu’il a d’in l’vinte, tiens ch’ti là »… (mon frangin a débuté en seconde mi-temps ce jour-là) bref une phrase pas vraiment faite pour les aider… Lens c’était ça : de la gouaille, du plaisir, une vrai joie de vivre, on dit « du fun » maintenant !!! On a recroisé à la fin du match mon père et moi les parisiens à la buvette, le dépliant à la main en train de se faire expliquer comment on prononçait le nom Krawczik (Richard, autre joueur talentueux de l’équipe des frères Lech)… et s’entendre dire par un lensois hilare, « t’inmerde pas, garchon, ichi tout l'monde y l’appelle « Zébulon » !!! Ce qui était vrai, c’était son surnom hérité d’une série animée de TV («  Pollux » ) ou un personnage à grande moustache était monté sur ressort, comme Richard qui courait vraiment vite !!!

Ah que de souvenirs de football et de Lens, Jacky, tu nous auras laissés...


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