Interview MadeInLens - Philippe Vercruysse : « Je pense qu’on peut être optimiste pour l’avenir du club »

Philippe Vercruysse Interview 1Philippe Vercruysse : un nom que les supporters lensois n’ont pas oublié tant le meneur de jeu Sang et Or a éclairé le jeu du Racing pendant près de 300 matchs sous le maillot artésien.

Avec spontanéité et simplicité, il a accepté de répondre aux questions de MadeInLens.com dans un entretien sans langue de bois et ce, sur de nombreux sujets : le RC Lens bien entendu, ses débuts, sa carrière ainsi que sur sa vision du football en général. Un entretien passionnant avec un homme passionné.

Philippe, pouvez-vous, pour les plus jeunes de nos lecteurs, vous présenter rapidement et nous rappeler les faits marquants de votre carrière ?

« Je suis un ancien international français (12 sélections, 1 but) et j’ai effectué 685 matchs en professionnel pour environ 200 buts. Ma carrière a démarré au RC Lens avec près de 300 matchs au total, puis Bordeaux, Marseille, Nîmes, Metz et Sion principalement.

Au niveau du palmarès, on peut noter 4 titres de champion de France (1 avec Bordeaux et 3 avec l’OM), une place de finaliste en Coupe d’Europe des Clubs Champions en 1991 et une 3ème place au Mondial 1986 disputé au Mexique. »

Vous êtes natif de Saumur (département de Maine-et-Loire) : comment êtes-vous arrivé au RC Lens ?

« Tout simplement par le biais d’un déménagement ! Avec ma mère et mon petit frère, nous nous sommes installés à Lens où nous habitions dans le quartier de la ZUP, dans la Tour Blois très exactement. Je ne pensais qu’à une chose après l’école : jouer au foot et taper avec un ballon contre les murs de la Résidence ! Comme le concierge n’en pouvait plus de me rappeler à l’ordre, je suis naturellement allé au stade Bollaert pour exercer ma passion. J’ai signé ma première licence en 1970, à l’âge de 8 ans et demi. »

Philippe Vercruysse Interview 3

L'équipe cadets du RC Lens, championne de France en 1978. Philippe Vercruysse est à droite du gardien lensois.

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours chez les jeunes ?

« J’ai démarré le mercredi après-midi en faisant des matchs avec tous les autres gamins sous l’œil d’Henri Kossowski (un ancien joueur du club que tout le monde appelait monsieur Kosso) puis en cadets sous la houlette de Jean Dombrowski. Nous sommes d’ailleurs devenus champions de France Cadets (une première pour le club) en battant l’AS Monaco en finale.

Ensuite, j’intègre la réserve pro (Division 3, équivalent du championnat National actuel) ainsi que le centre de formation du RCL avec Jean Séraphin comme éducateur, qui me fait travailler sur le couple technique-physique. Je signe ensuite ma première licence professionnelle en 1980. »

Votre poste de meneur de jeu s’est-il naturellement inscrit au vu de vos qualités techniques ou avez-vous démarré à un autre poste ?

« J’ai toujours évolué en numéro 10 même s’il m’est arrivé en minimes de jouer attaquant. Mais le plus important, c’est de positionner un joueur en fonction de ses qualités et c’est en position de meneur de jeu que les miennes s’exprimaient le mieux. Je n’étais pas très rapide, plutôt maigre et je ne bougeais pas trop. Mon rôle était multiple : récupérer, donner et marquer aussi : une sorte de neuf et demi version Karim Benzema au Real. »

« Les anciens n’hésitaient pas à charrier les jeunots qui arrivaient en pro »

Comment se sont passés vos premiers pas avec les professionnels et que retenez-vous de vos débuts au plus haut niveau avec le Racing ?

« À mes débuts, j’étais assez timide. Les anciens n’hésitaient pas à charrier les jeunots qui arrivaient en pro. Mais une fois évacuée la pression des deux-trois premiers matchs, je me suis senti à l’aise et pleinement concentré sur mon jeu. »

En 1983, il y a l’épopée européenne contre les clubs belges : quel souvenir en avez-vous gardé ? (Lens élimine successivement Gand puis l’Antwerp avant d’être éliminé par Anderlecht, futur vainqueur du trophée)

« On a surtout pu mesurer la différence qu’il y avait entre des bons clubs, comme Gand et Anvers, et un grand d’Europe comme l’était Anderlecht à l’époque. Pour faire une comparaison, l’équipe belge, composée presque exclusivement d’internationaux, c’était dans le même style que Benfica ou le Milan AC (clubs rencontrés par l’OM en coupe des clubs Champions quand Philippe jouait sur la Canebière) !

Des joueurs très forts donc et pas d’erreur individuelle : on a pu voir tout le chemin qu’il restait à parcourir pour atteindre le plus haut niveau. Mais pour nous, joueurs lensois, l’aventure a été exceptionnelle puisque nous avons eu l’occasion de jouer contre ce qui se faisait de mieux en Europe (Lens a été éliminé de justesse [1-1 et 0-1]). »

Philippe Vercruysse Interview 2

Sticker Panini de Philippe Vercuysse en 1983.

Quelles étaient vos relations avec Gérard Houiller lorsque ce dernier était entraîneur entre 1982 et 1985 ?

« J’étais un espoir du football lensois et aussi du football français. Quand l’entraîneur va chercher à l’étranger un meneur de jeu, tu comprends tout de suite que les relations ne vont pas être trop bonnes... Néanmoins, au final, j’ai continué à jouer et j’ai donc réussi à m’imposer sans l’aide de Gérard Houiller. »

Comment expliquez-vous que vous n'ayez pas été rappelé en équipe de France fin des années 80 ?

« Disons que le numéro 10, meneur de jeu technique, a toujours fait débat, car c’est un poste complexe. À Marseille, Franz Beckenbauer me considérait comme un des meilleurs numéros 10 au monde. Ce n’est quand même pas n’importe qui... Après, un sélectionneur fait des choix. Mais c’est vrai que c’est tout de même curieux. »

Qu’est-ce qui vous pousse à partir vers Bordeaux en 1986 ?

« Les Girondins de Bordeaux, c’est avant tout le reste un choix purement sportif. Plusieurs clubs m’avaient sollicité (Paris SG, Matra Racing, Monaco), mais Bordeaux était à l’époque le club numéro 1 en France. Nous avons été d’ailleurs champions en 1986. J’ai eu la chance de jouer avec de  grands joueurs, comme d’ailleurs un peu plus tard à l’OM. »

« Cette année, l'équipe a retrouvé une certaine identité typique du jeu lensois »

Revenons au Racing : je suppose que vous êtes attentif aux résultats de votre club de cœur. Comment, de votre point de vue, peut-on expliquer que cette « institution » n’arrive pas à renaître de ses cendres ? Le club a t-il finalement mal géré l’après 98 ?

« 1998 a été une saison remarquable. Le club a eu beaucoup de succès sur le plan extra sportif. Mais sur le plan sportif, il y a eu de mauvais choix. L’argent est important mais, mal utilisé, il ne sert pas à grand chose. Pour cela, il est important d’avoir une bonne connaissance du football. Les grands clubs européens essaient en priorité de conserver leurs meilleurs joueurs avant de penser à d’éventuelles recrues. Après 1998, il aurait peut-être fallu chercher à conserver certains joueurs plutôt que de les laisser partir et donc de devoir les remplacer. »

Gervais Martel vous a t-il sollicité à un moment pour avoir des conseils de votre part ?

« Non, à aucun moment. Je n’ai plus aucun contact avec le Racing depuis que j’ai quitté le club. »

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Philippe Vercruysse évoluera sous les couleurs des Girondins de Bordeaux en 1986-1987, puis en 1993-1994.

Cette saison, le RCL est bien parti pour jouer les premiers rôles : que pensez-vous du jeu pratiqué ? Croyez-vous que les Sang et Or peuvent retrouver enfin l’élite ?

« Cette année, l’équipe me paraît solide et bien organisée. Mais surtout, elle a retrouvé une certaine identité typique du jeu lensois - Made In Lens on pourrait dire - avec des joueurs qui se battent et qui mouillent le maillot. Il manque une touche technique supplémentaire pour être encore plus performant, mais, dans l’ensemble, Philippe Montanier et Mickaël Debève font du bon boulot. Je pense qu’on peut être optimiste pour l’avenir du club. »

Parlons du foot français et de son paradoxe : l’équipe nationale est championne du monde, mais les clubs ont des résultats catastrophiques en Coupe d’Europe : comment expliquer un tel décalage ?

« L’équipe de France a été championne du monde et sur ce point, il faut féliciter Didier Deschamps. Certes, on aurait préféré un football un peu plus offensif, mais un tournoi est fait pour être gagné et c’est ce qui a été fait. Par contre, au niveau des clubs, on peut dire que le football français est en perte de vitesse et depuis longtemps. Quand les choses ne fonctionnent pas et que rien ni personne ne souhaite les changer, la situation s’empire.

Au delà de l’échec sportif, c’est aussi un échec sur le plan financier. Il va falloir changer de politique dans notre football et laisser les hommes de terrain reprendre la main, sinon... Quand on voit que les équipes jouent sans meneur de jeu, c’est dramatique. Aujourd’hui, nous avons un seul modèle avec une majorité de joueurs physiques. Mais une équipe, ce sont des joueurs physiques, des joueurs rapides, des joueurs techniques, des joueurs intelligents ! De toute façon, nos résultats sur la scène européenne prouvent que cela ne fonctionne plus. Il est temps de procéder à une bonne remise en cause. »

« Raphaël Varane, c'est pour moi le nouveau Franz Beckenbauer »

Sur le recrutement de très jeunes joueurs : ne croyez-vous pas que les centres de formation ne sortent que des joueurs stéréotypés où on ne laisse guère libre champ à l’intuition ? S’il y avait quelque chose à changer, quelle(s) évolution(s) selon vous ?

« C’est un peu le problème de notre football. À force de prioriser les attributs physiques des joueurs, on en oublie deux choses fondamentales : l’intelligence de jeu et l’intuition. On ne laisse que peu de place à l’inspiration, à la création. Du coup, le meneur de jeu est mis de côté. Pour qu’il refasse surface, il faudrait que certaines personnalités élèvent la voix. La technique a donc disparu. »

Raphaël Varane, produit de la Gaillette, a un palmarès exceptionnel pour son âge : votre avis sur le joueur ? A t-il des axes de progrès ?

« Alors lui, c’est un joueur hors norme. Même hors du commun. Avoir tant de qualités si jeune, c’est tout simplement exceptionnel : maîtrise technique, intelligence de jeu, force physique et athlétique, sans oublier une grande maîtrise de soi et la lucidité qui va avec...C’est pour moi le nouveau Franz Beckenbauer. D’ailleurs, pour moi, il mérite le Ballon d’Or. Griezmann n’est pas très loin non plus, mais, le football, ce n’est pas que de grands attaquants : il y a aussi de grands défenseurs. De toute façon, si cette année, on ne donne pas le trophée à un joueur français, c’est que quelque chose ne tourne pas rond dans la planète football ! »

Philippe Vercruysse Interview 5

L'équipe du RC Lens lors de la saison 1982-1983, à Bollaert. Philippe Vercruysse est accroupi devant le ballon. 

Projetons nous un peu. Vous êtes nommé entraîneur : quelle serait votre philosophie de jeu ? Tout pour l’attaque ou le bus ?

« Ni l’un ni l’autre ! Le football est bien plus complexe que cela. C’est d’abord la valeur des joueurs qui va donner le fil conducteur à l’entraîneur. Ce sont les qualités de chacun qui doivent permettre de construire le collectif, le caractère et la personnalité. Toutes ces qualités doivent être représentées sur le terrain et il est bien évident qu’on ne peut pas aligner 11 techniciens en même temps, ni 11 joueurs physiques ensemble. Il y a une alchimie à trouver. »

Dernière question : Philippe, à court terme, quels sont vos projets ?

« Mes projets sont en stand by pour l’instant. Je suis à la recherche d’un poste d’entraîneur pour transmettre mon vécu et mon expérience. Un poste de manager sportif éveillerait également mon attention. Suivre les équipes au quotidien, évaluer la progression des jeunes joueurs, observer ce qu’ils produisent le week-end, c’est important. C’est un rôle dans lequel je me verrais bien. »

Propos recueillis par Nicolas Zatti pour MadeInLens.com


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